Par Elizabeth Anderson et Olivier Corbeil, gagnants de l'édition 2023 du concours de vulgarisation scientifique
Martin, âgé de 25 ans, est étudiant à l’Université Laval et veut devenir travailleur social. Il a fait une première psychose il y a maintenant plus de 4 ans. La psychose est une altération du contact avec la réalité. Elle comprend habituellement des symptômes positifs tels que les idées délirantes et les hallucinations ainsi que des symptômes négatifs tels qu’un manque d’intérêt et de motivation, une diminution de l’expression émotionnelle1. Depuis cet épisode psychotique, Martin prend un médicament antipsychotique régulièrement, en plus de bénéficier du suivi d’une équipe de soins spécialisée auprès des jeunes pour traiter ce type de problème. Il ne consomme aucune drogue et va vraiment mieux : sa méfiance et sa paranoïa sont résolues. Cependant, Martin présente des difficultés à se concentrer et à retenir les informations qui nuisent à son rendement scolaire et à ses activités quotidiennes. En fait, Martin doit composer avec un trouble déficitaire de l’attention (TDAH), présent depuis son enfance, pour lequel on lui dit qu’il ne peut plus recevoir le médicament psychostimulant antérieurement prescrit qui l’avait vraiment aidé : les risques de précipiter une nouvelle psychose avec la prise de ce médicament seraient trop grands.
Martin rencontre son psychiatre et lui pose la question suivante : est-ce que la prescription du psychostimulant est absolument contre-indiquée dans sa situation, au risque de le reconduire à l’hôpital, ce qu’il veut à tout prix éviter ?
Le cas de Martin n’est pas isolé : la fréquence du TDAH chez les personnes atteintes d’un trouble psychotique est plus élevée que dans la population générale et pourrait toucher entre 17 et 52% des individus2. De la même manière, les personnes ayant un TDAH ont également plus de risque de développer un trouble psychotique comparativement à la population générale3. Selon la littérature scientifique, lorsque présent chez une personne ayant un trouble psychotique, le TDAH est associé à une moins bonne évolution de la maladie notamment en raison d’une bonne moins adhésion au traitement et d’une augmentation du nombre de rechute psychotique4. Ce double diagnostic est également associé à de moins bonnes performances à l’école et au travail comparativement aux personnes souffrant uniquement d’un trouble psychotique. Ainsi, les questionnements de Martin sont légitimes : le traitement optimal de son TDAH pourrait lui permettre de soutenir son rétablissement.
À son grand étonnement, le psychiatre lui partage les résultats d’une étude récente sur le sujet, réalisée par une équipe de chercheurs québécois du Centre d’études et d’interventions en santé mentale (CÉISM)5. Dans cette étude, les chercheurs se sont intéressés à l’ensemble des Québécois ayant un diagnostic de trouble psychotique et ayant bénéficié du régime public d’assurance-médicaments de la RAMQ (Régie d’Assurance Maladie du Québec) entre 2010 et 2016. Ils ont examiné les renseignements concernant l’utilisation de médicaments par ces personnes, dont les antipsychotiques et les psychostimulants, et, à l’aide d’une autre banque de données administrative du Québec, les diagnostics psychiatriques et les hospitalisations. À l’aide de ces informations, les chercheurs ont pu vérifier ce qui arrive à des personnes ayant un trouble psychotique et qui prennent régulièrement un antipsychotique, lorsque l’on ajoute un psychostimulant, par exemple pour traiter un TDAH. (Ce qui pourrait justement répondre à la question de Martin!). Les chercheurs se sont particulièrement intéressés aux hospitalisations survenues un an avant et un après l’ajout du psychostimulant. Eh bien, voilà de quoi surprendre : non seulement le risque d’être hospitalisé n’a pas été augmenté suivant l’ajout du psychostimulant à l’antipsychotique, mais ce risque a même diminué selon les observations issues de cette étude. En plus, ces personnes semblent mieux prendre leurs médicaments dans l’année qui suit l’introduction du psychostimulant que dans l’année précédente.
Emballé, Martin y voit la possibilité de pouvoir reprendre le psychostimulant qu’il espère tant pour améliorer ses difficultés de concentration et d’attention sans toutefois risquer de retourner à l’hôpital en raison d’une psychose. Le psychiatre de Martin trouve en effet ces résultats forts encourageants et plutôt rassurants, mais demeure très prudent. Il explique à Martin que d’autres études seront nécessaires pour mieux comprendre chez quelles personnes la reprise d’un psychostimulant pourrait être sécuritaire parmi les jeunes qui, comme lui, ont fait une psychose. S’il n’est pas fermé à l’idée de lui prescrire un psychostimulant, son psychiatre souhaite que Martin et lui se donnent le temps nécessaire pour qu’ils considèrent ensemble la balance entre les bienfaits et les risques potentiels. Le psychiatre partage à Martin qu’il serait davantage rassuré si les lignes directrices de traitement qui encadrent la prescription de cette combinaison médicamenteuse dans ces circonstances étaient plus claires. Très certainement, cette étude est un pas dans cette direction et ouvre la voie à d’autres recherches en ce sens. Martin apprécie cet échange avec son psychiatre. Éclairé par ces informations, il se sent partie prenante de la décision et a le sentiment que ses besoins sont bien pris en compte.
Pour aller plus loin
Le TDAH, caractérisé par l’inattention, l’impulsivité, l’atteinte des fonctions exécutives et de la régulation émotionnelle, et dans certains cas, l’hyperactivité, est un trouble psychiatrique très fréquent à l’enfance, mais qui persiste à l’âge adulte dans 50 % des cas6. Par exemple, une personne ayant un TDAH pourrait avoir de la difficulté à se concentrer lorsqu’il y a beaucoup de distractions ou à exécuter deux tâches simultanément. Les psychostimulants, qui incluent les dérivés du méthylphénidate (p. ex. Ritalinmd) et des amphétamines (p. ex. Adderall XRmd), agissent en augmentant la transmission de deux neurotransmetteurs, la dopamine et la noradrénaline, dans certaines régions du cerveau touchées par le TDAH. En raison de leur efficacité bien documentée pour soulager les symptômes du TDAH, les psychostimulants sont le traitement pharmacologique de première ligne dans la population générale. Quant aux antipsychotiques, ceux-ci sont les médicaments de premier choix pour le traitement des troubles psychotiques. Ils agissent en bloquant l’action de la dopamine dans une région précise du cerveau afin de diminuer les symptômes positifs de la maladie, tels que les hallucinations ou les idées délirantes.
En raison de leurs effets opposés aux antipsychotiques sur la transmission de la dopamine et de leurs similarités avec certaines drogues illicites (p. ex. cocaïne, speed) dont la consommation peut entraîner des psychoses, les professionnels de la santé sont généralement réticents à l’idée de prescrire des psychostimulants à des patients atteints d’un trouble psychotique. Le cas de Martin, qui est loin d’être isolé, soulève donc le débat. Afin d’examiner de façon plus approfondie les risques associés à cette pratique, l’étude récente abordée dans ce texte a évalué le risque d’hospitalisation pour cause de symptômes psychotiques chez des personnes ayant un diagnostic de trouble psychotique durant l’année suivant l’introduction d’un psychostimulant comparativement à l’année précédente.
Ressources utiles
Pour obtenir davantage d’informations sur le TDAH, les lecteurs sont invités à consulter les sites web de l’organisme canadien CADDRA, à l’adresse www.caddra.ca/fr/. Pour plus de renseignements sur les troubles psychotiques, restez à l’affût du carrefour web développé par une équipe de chercheurs du CÉISM qui sera très prochainement accessible au www.projet-retablissement.ca.
Références
1 American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders (5th ed.). https://doi.org/10.1176/appi.books.9780890425596
2 Arican I, Bass N, Neelam K, Wolfe K, McQuillin A, Giaroli G. Prevalence of attention deficit hyperactivity disorder symptoms in patients with schizophrenia. Acta Psychiatr Scand 2019; 139(1): 89-96.
3 Nourredine M, Gering A, Fourneret P, et al. Association of attention-deficit/hyperactivity disorder in childhood and adolescence with the risk of subsequent psychotic disorder: a systematic review and meta-analysis. JAMA Psychiatry 2021; 78(5): 519-29.
4 Rho A, Traicu A, Lepage M, Iyer SN, Malla A, Joober R. Clinical and functional implications of a history of childhood ADHD in first-episode psychosis. Schizophr Res 2015; 165(2-3): 128-33.
5 Corbeil O, Brodeur S, Courteau J, et al. Treatment with psychostimulants in people with psychotic disorders: reassessing the risk of clinical deterioration in a real-world setting. Article en révision au Lancet Psychiatry.
6 Cherkasova MV, Roy A, Molina BSG, et al. Review: Adult outcome as seen through controlled prospective follow-up studies of children with attention-deficit/hyperactivity disorder followed into adulthood. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2022; 61(3): 378-91.