Par Marie-France de Lafontaine, gagnante de l'édition 2023 du concours de vulgarisation scientifique
Mise en contexte
Nous vivons tous des inquiétudes à un moment ou un autre de notre vie. S’inquiéter est un phénomène tout à fait normal, mais les inquiétudes qui sont intenses ou persistantes peuvent nous causer de la détresse et nuire de façon importante à notre quotidien. Heureusement, il existe des stratégies pour réduire la sévérité des inquiétudes. L'activité physique est une stratégie dont l’efficacité est appuyée par plusieurs recherches scientifiques [1, 2]. Une question demeure toutefois : pourquoi le fait d’être actif a-t-il un tel impact sur les inquiétudes?
Le texte suivant rapporte les résultats d’une étude universitaire [3] qui s’est déroulée en 2021, auprès d’étudiants et de membres du personnel de l’Université Laval. Cette étude avait pour objectif d’évaluer si l’effet de l’activité physique sur les inquiétudes peut être expliqué par deux mécanismes psychologiques, soit : la réduction de la sensibilité aux sensations inconfortables et le développement du sentiment de compétence.
Diminuer la sensibilité aux sensations inconfortables
Quand on pense à des situations stressantes, ce sont souvent des images qui nous apparaissent en tête. Ces images peuvent provoquer des symptômes désagréables, comme des difficultés à respirer, de la transpiration ou un rythme cardiaque plus rapide. Naturellement, nous sommes portés à éviter ces images de différentes façons. Une de ces stratégies consiste à remplacer les images par des mots ou des raisonnements, qui sont moins chargés émotionnellement [4]. Ce sont ces pensées qu’on appelle des inquiétudes. À court terme, l’évitement des images peut aider à se sentir mieux, mais cela nous empêche de confronter les symptômes déplaisants et d’apprendre à les tolérer [5]. À long terme, l’évitement renforce la peur de ces sensations et, par conséquent, empire les inquiétudes.
Les résultats de notre étude suggèrent que faire de l’activité physique régulièrement pourrait réduire cette peur des symptômes inconfortables. Pensez à ce que vous ressentez quand vous faites une activité physique. Votre cœur bat plus vite, votre respiration s’accélère, vous transpirez? Des sensations assez similaires à celles que les inquiétudes nous font éviter! En effet, la pratique régulière d’activité physique aiderait à s’habituer aux sensations désagréables. Au fur et à mesure qu’on apprendrait à tolérer ces symptômes, l’évitement serait moins nécessaire et les inquiétudes diminueraient [3].
Développer le sentiment de compétence
Lorsqu’on s’inquiète beaucoup, il peut être difficile de résoudre des problèmes ou de prendre des décisions. Ce n’est pas parce qu’on est incapable de trouver des solutions en soi, mais plutôt parce que l’on perçoit les problèmes comme pires qu’ils le sont réellement et nos capacités à les régler comme insuffisantes [6]. Sous-estimer ainsi notre compétence à gérer les situations problématiques nous donne l’impression qu’elles sont d’autant plus menaçantes ou néfastes. Cette attitude négative face aux problèmes peut nuire à la mise en place de solutions, soit parce que nous sommes incertains de prendre la bonne décision ou que nous pensons que cette décision n’aura pas les effets souhaités. Nos inquiétudes sont alors maintenues, voire exacerbées [7].
Dans le cadre de cette étude, notre équipe de recherche a déterminé que la pratique régulière d’activité physique permettrait d’améliorer ce sentiment de compétence. En persévérant et en étant assidus dans la réalisation d’une activité physique, nous acquerrions une plus grande confiance en nos capacités à faire face aux tracas de la vie quotidienne et aux événements stressants. Cette perception de compétence fait en sorte que les situations problématiques paraîtraient moins alarmantes et qu’il serait plus aisé de mettre en place des solutions. Conséquemment, la tendance à s’inquiéter s’en trouverait diminuée [3].
Limites et impacts de l’étude
Il est à noter que les participants de cette étude n’ont rempli les questionnaires qu’une seule fois. Pour consolider les résultats obtenus, il serait essentiel de reproduire cette démarche sur une plus longue période, durant laquelle les participants complèteraient plusieurs fois les questionnaires à différents intervalles de temps. Cela permettrait de valider l’effet à long terme de l’activité physique sur les inquiétudes et les processus psychologiques mentionnés ci-haut. De plus, la majorité des participants étaient des femmes provenant d’un milieu universitaire. Il serait donc pertinent d’examiner si ces processus psychologiques sont impliqués de la même manière dans la réduction des inquiétudes chez d’autres groupes d’individus, comme les hommes ou les travailleurs de milieux différents.
En résumé, la présente étude soutient que l’activité physique serait une stratégie efficace pour améliorer et maintenir une bonne santé mentale. En effet, elle aiderait à diminuer la sévérité des inquiétudes grâce à deux processus psychologiques : la réduction de la sensibilité aux sensations inconfortables et le développement du sentiment de compétence. Les personnes qui envisageraient essayer l’activité physique pour alléger leurs inquiétudes pourraient commencer par 1) choisir une activité d’intensité modérée (par exemple: marche rapide, natation, course) afin de s’habituer progressivement aux sensations inconfortables et 2) se fixer des objectifs réalistes et atteignables pour renforcer graduellement leur sentiment de compétence.
Ressources utiles
- Clinique du PEPS : accompagnement à mener une vie plus active
- Centre d’aide aux étudiants de l’Université Laval
- Association canadienne pour la santé mentale
- Organisme Relief, spécialisé dans le soutien à l’autogestion de la santé mentale
Références
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Plag, J., et al., Working out the worries: A randomized controlled trial of high intensity interval training in generalized anxiety disorder. Journal of Anxiety Disorders, 2020.
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Herring, M.P., M. Hallgren, and M.J. Campbell, Acute exercise effects on worry, state anxiety, and feelings of energy and fatigue among young women with probable Generalized Anxiety Disorder: A pilot study. Psychology of Sport and Exercise, 2017. 33: p. 31-36.
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de Lafontaine, M.-F., S. Turcotte, and G. Foldes-Busque, Physical Activity and Worry in a Non- Clinical Population. in preparation.
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Borkovec, T.D. and J. Inz, The Nature of Worry in Generalized Anxiety Disorder: A Predominance of Thought Activity. Behav Res Ther, 1990. 28(2): p. 153-158.
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Foa, E.B. and M.J. Kozak, Emotional Processing of Fear: Exposure to Corrective Information. Psychological Bulletin, 1986. 99(1): p. 20-35.
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Dugas, M.J., et al., Worry and Problem Solving: Evidence of a Specific Relationship. Cognitive Therapy and Research, 1995. 19(1): p. 109-120.
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Dugas, M.J., et al., Generalized anxiety disorder: a preliminary test a of conceptual model. Behaviour Research and Therapy, 1998. 36: p. 215-226.